Si la France était une émission de télévision, ce serait l’Élite Academy. Un concours âprement disputé où le gagnant serait celui ou celle qui ferait étalage de la plus grande intelligence.
Pour le tout petit nombre de gagnants, la récompense est immense. Ce sont les esprits brillants pleins de confiance, et parfois d’arrogance, qui occupent les hautes sphères de la société : les ministres, et les hauts fonctionnaires qui servent dans leurs cabinets, les PDG des grandes entreprises, les seigneurs du monde de la finance.
Mais contrairement à la téléréalité, la diversité des talents n’est pas valorisée : les vainqueurs ont tendance à se ressembler. Ils sont tous passés par les mêmes écoles, sont majoritairement issus des mêmes milieux sociaux et s’affrontent lors d’épreuves auxquelles on les a préparés depuis l’enfance.
Malheureusement ce petit jeu est néfaste pour la nation toute entière. Les heureux élus ne sont pas toujours ceux qui sont le mieux taillés pour le rôle qu’ils vont tenir tandis que les perdants sont marqués à vie par leur échec. L’intégralité de la compétition est viciée.
Depuis mon arrivée à Paris en 2002, en tant que correspondant du magazine américain Time, j’ai souvent été surpris par cette culture omniprésente de l’élitisme. Les élèves y sont confrontés dès leur plus jeune âge, quand la course aux meilleures notes tourne au sport de combat, mais c’est dans l’enseignement supérieur qu’elle atteint son apogée, à travers le système des grandes écoles. Pour les 5 % d’une classe d’âge qui parviennent jusque là, et plus particulièrement pour l’infime fraction qui décroche les gros lots que sont l’ENA et l’École polytechnique, la réussite professionnelle semble assurée.
Si cet élitisme est capable de produire un tout petit nombre de femmes et d’hommes aussi brillants que charmants qui constituent la classe dirigeante, elle laisse aussi la grande majorité de la population face à un sentiment de frustration, de démotivation et d’abandon. Au travail comme à l’école, les symptômes de stress et de soumission sont comparables, tout comme les relations dysfonctionnelles avec les professeurs ou les supérieurs hiérarchiques, l’isolement, la frustration et parfois le sentiment d’impuissance. Comparés aux habitants d’autres pays, les Français ne trouvent pas que leurs talents soient reconnus et valorisés.
Encore faudrait-il que les élites françaises soient efficaces… Mais si ces beaux esprits ont un talent certain pour rédiger d’excellents rapports, ils sont beaucoup moins doués pour mettre en œuvre leurs préconisations. Les entreprises dont les dirigeants sont issus des mêmes écoles ne brillent pas par leurs performances. Dans le secteur public, les hauts fonctionnaires ont ignoré les avancées les plus marquantes de ces vingt dernières années dans l’amélioration de l’efficacité et de la transparence des administrations.
Alors que la France doit se battre pour maintenir sa place dans le monde, sa culture élitiste, loin d’être un atout, est un handicap. Tout changement est-il impossible ? Dans Élite Academy, j’essaie de répondre à cette question en adoptant un double regard. Je me suis appuyé sur mes dix ans d’expérience en tant que journaliste en France pour nourrir mon regard d’observateur extérieur. Mais je me suis également servi de mon expérience d’« infiltré », à la fois enseignant et ancien membre de la direction de Sciences Po, l’un des piliers de ce système élitiste. Je fus témoin de la crise qui a secoué l’institution entre 2011 et 2012, mais aussi des changements profonds d’un établissement qui pendant cent quarante ans a éduqué les dirigeants français.
Cet essai se veut le récit d’un voyage au pays des élites. Une modeste contribution au débat national sur ce que la France doit changer si elle veut retrouver son élan et garder son rang parmi les premières nations du monde.